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Ombres d'une vie de femme au 20ème
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Dans la courte tribu Lefresne, Renée Robin n'a pas laissé de souvenirs attendris. Elle n'est
affublée d'aucun surnom affectueusement cul-cul. Quand la troisième génération
parle de la " grand-mère Robin ", c'est sa mère qu'elle évoque et pas seulement
parce que cette dernière lui a survécu, ou parce que ses mariages lui ont fait
perdre deux fois son nom. Est-ce son histoire de veuve de la Grande Guerre
remariée et donc, au fond, un peu suspectée d'oubli du héros ? On dit que son
gendre Marcel ne l'aimait guère avec, en arrière plan,
une sombre histoire de bague volée. Il y aurait encore, après le soupçon de
veuve insouciante, un côté mère médiocre qui ne se serait pas occupée de son Yvonne, l'aurait délaissée, bref, mal aimée. Pourtant, les
cartes postales qu'elle adresse à son Alfred
et, plus tard, à sa "
Vonette chérie ", montrent une vraie sensibilité amoureuse et une vraie
tendresse maternelle. Pourquoi alors le souvenir plutôt froid qu'elle a laissé,
y compris à sa fille pourtant peu suspecte d'indifférence à l'égard des siens,
qui répétait : " Moi, maman je ne peux pas dire du mal… ", réduisant le lien
filial à sa composante biologique ?
Il faudra rajouter cette question, sans grand espoir de
réponse, à toutes celles soulevées par la vie d'une femme qui se résume trop
pour nous à un inventaire incomplet.
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Fille de domestiques, au sens générique où on l'entendait à
cette époque -c'est à dire dans le langage d'aujourd'hui : employée de maison
plutôt que larbin.
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Un mariage loin de chez
elle, sans sa mère, quand l'amoureux, ayant peut-être échappé à la tyrannie
familiale grâce à sa majorité, " répare ".
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Enfance chez une grand-mère, à Cellettes , où
sa mère est venue accoucher, avant de repartir, sans doute, vers la région
parisienne retrouver son travail et son mari.
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2
fois veuve, la première à 23 ans et demi, dès le début de la Grande Guerre
, la seconde à 40
ans.
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Domestique elle aussi,
semble-t-il, en dépit des appellations de " couturière " ou " cuisinière "
figurant dans les actes d'état civil.
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Autant d'adresses que
de " places ", de Blois à Paris, puis dans le Loiret, à Cellettes enfin de
retour pour une fin de vie sans joie, dans une masure aujourd'hui disparue, près
du parc de Beauregard.
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Un amoureux qui ne peut
l'épouser mais lui fait tout de même un enfant (grâces lui soient accordées pour
cet acte !).
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Pas de traces, ou si
peu, de sa brève vie -52 ans.
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Tant d'effacement et
de malheurs ordinaires méritent-ils au moins la compassion, sinon la tendresse
dont le terrible 20ème siècle fut si chiche pour les humbles ?
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Intelligente ? Gaie ? Belle ? Aucune des questions que
se posent légitimement les descendants n'a de réponse. Toutes ces qualités que
les petits enfants aiment bien détecter chez leurs grands-parents, car en
somme, elles les valorisent par ricochets, Renée les avait-elle ? Les
rares photographies d'elles qui nous sont parvenues montrent une femme -plutôt usée-,
jamais une enfant ou une très jeune fille. Renée Robin, puis Merveille, enfin
Richemont, est décidément une étoile qu'il faudra se contenter de regarder de
loin.
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les
4
visages
conservés
de Renée
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avec
si peu
comment
graver
un
souvenir ?
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Etoile lointaine,
étoile filante : difficile de la suivre, de Cellettes à Bois-Colombe, à Paris,
rue de Maistre, rue Blanche, rue Pigalle, à la Ferté-sous-Jouarre, à
Châteaurenard, à Montargis, à Triguères, et pour finir sa vie, à
Cellettes.
Parents absents : sa mère n'est revenue à Cellettes que pour
l'accouchement, son père n'est pas là, et c'est la sage-femme qui va la déclarer
à la mairie. Domestiques en région parisienne, ils la laissent à la grand-mère
maternelle Bailloux, veuve de bonne heure, qui l'élève avec sa cousine Juliette,
de 2 ans sa cadette, comme elle sans parents auprès d'elle, et avec des "
nourrissons " pour se faire un peu d'argent. De cette enfance cellettoise, elle
gardera un port d'attache, des amies, et (au moins) deux
amours.
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Cellettes est alors le bourg le plus important des 2
cantons de Blois même si sa population décline lentement depuis les belles années
de la mi-19ème siècle et la prospérité du Second Empire. Dans
un village à l'activité presque exclusivement agricole (plus des 2/3 des emplois),
l'horizon professionnel des filles se limite à la domesticité, quelle qu'en soit la
forme ("lingère", "blanchisseuse", "cuisinière", "femme de chambre") et leur statut à celui d'épouse et de "
journalière ". Cependant, le conseil municipal s'efforce de respecter un certain
équilibre entre les écoles de filles et de garçons, avant même que les lois
l'imposent. Et s'il a refusé, en 1888, la laïcisation de l'école de filles, que
lui réclamait avec insistance le Préfet, c'était autant pour des raisons
matérielles qu'idéologiques : le bâtiment avait été légué à la commune par une
dame noble sous réserve expresse que l'institutrice serait religieuse. Chasser
les sœurs des classes équivalait à construire une nouvelle école. Or, la commune
venait tout juste d'agrandir celle des garçons d'une 2ème classe… Egalité
garçons-filles d'accord, mais pas au prix d'un impôt supplémentaire, jugé
insupportable : voilà ce que les édiles cellettois expliquent au Préfet dans une
délibération de 4 pages, l'une des plus longues de leur histoire, façon pour eux
de bien montrer à l'Autorité leur bonne volonté
républicaine.
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Ainsi Renée a-t-elle
été éveillée à la connaissance par les " sœurs de Saint-Paul de Chartres ".
Quand le Préfet du Loir-et-Cher impose la laïcisation de l'école de filles, en
septembre 1902, et révoque en conséquence l'institutrice religieuse, Renée la
suit-elle ou achève-t-elle sa scolarité à la nouvelle école publique ? En tout
cas, on peut estimer qu'une telle formation initiale a laissé des traces -et la
conduira plus tard à confier sa propre fille à des institutions " privées ".
Faute de pouvoir consulter des archives scolaires, on devra se contenter de
supposer réussi le parcours de l'élève Robin Renée.Elle possède l'écriture
aisée, tant pour la graphie, élégante et régulière, que pour l'orthographe, très
honorable, et l'expression, tout à fait adroite, et ne devait pas manquer
d'aptitudes scolaires.
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