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Nouvelles auxquelles Marie et son fils abandonné ont échappé...
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A Marie...
1er juin 1910: ça y est! Te voilà débarrassée, Marie: ton fils abandonné est placé chez la veuve Foulon, à Cellettes, hameau de Vaugelay. Si cela peut te rassurer, la veuve a l'habitude: Marcel est son 6ème nourrisson de l'Assistance Publique...
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A Alexandre, Marcel, Stanislas...
Sais-tu que ta mère s'est mariée à Selommes le 12 juin 1911, juste après ton 1er anniversaire ? Et avec un vrai paysan, un récent veuf de Villefrancoeur...
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Ton grand fils abandonné vient d'achever sa scolarité à l'école de Cellettes. Fin juin 1923, voilà son adresse (on ne sait jamais): chez Adam, à Chitenay.
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Veinard! Te voilà une petite soeur, née en 1912, 2 ans après toi. Drôle de prénom: Méa!!!
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Le destin de Marie lui appartient.
Qui sait ? Marcel
est peut-être le produit d'un viol. Aller fouiller dans l'histoire de sa mère,
sans qu'elle ait jamais donné une autorisation, serait un autre viol.
D'ailleurs, de son vivant, lui-même a-t-il jamais cherché à en savoir plus
sur ses géniteurs ? Yvonne, son épouse, affirmait que non.
La
jeunesse des parents demeure toujours un territoire étranger à leurs enfants.
Quand ils confient volontiers leurs souvenirs : de mon temps…, je me souviens de
la fois…, à mon époque…, ce ne sont jamais que des petites histoires, des petits
morceaux de passé échappés de leurs intimités. On n'entre pas dans le grenier de
ses parents, ou alors, par effraction, et on n'y voit que l'extérieur.
L'intérieur reste leur propriété exclusive. On a beau accumuler des milliers de
souvenirs, reconstituer des itinéraires, affirmer des constantes, expliquer, et
même parfois comprendre, on est exactement comme un touriste dans un pays
lointain : l'essentiel reste inconnu.
Peut-être Marcel avait-il senti qu'il ne lui
servirait à rien de pénétrer dans une vie qui l'avait expulsé. Toutes ces années
au cours desquelles se construisent des intimités communes, ces bobos que la
mère apaise, ces claques, ces petites complicités, ces disputes, ces rancœurs,
tous ces minuscules instants de bonheur et de larmes, aucun récit ne pourrait
les restituer. Un roman n'est merveilleux que pour déchiffrer la vie des autres.
Voilà ce que Marcel, d'instinct, avait peut-être saisi : le ventre d'où il était
sorti ne serait jamais celui de sa mère.
Marie est donc demeurée un mystère dont les
actes d'Etat-Civil constituent les seules balises.
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Le point sur … Les enfants assistés
La Loi de
1904, sans modifier en profondeur leur statut, améliore grandement l'accueil des
enfants abandonnés, maltraités et autres orphelins. Non seulement le " tour ",
cet endroit où les nouveaux nés étaient déposés anonymement par leur mère, est
abandonné au profit de " bureaux " plus accueillants, mais le financement du
service est augmenté, ce qui permet de mieux rémunérer les nourrices et d'offrir
aux enfants des vêtements décents. Ajoutons à ces progrès législatifs, les
effets bénéfiques des découvertes pastoriennes appliquées à la stérilisation du lait : en 1892 ,
l'Assistance publique adopte l'usage du lait bouilli, et les tabous sur l'allaitement
maternel tombent lentement. Il n'était que temps : le nombre de
naissances " illégitimes " et sans doute, conséquemment, d'abandons, avait beaucoup augmenté au
19ème siècle, en même temps que s'était accrue la mortalité
infantile.
La 3ème République a joué un rôle social indiscutable en
aidant à la prise en charge des "filles-mères" pour limiter les abandons
d'enfants. Rôle apparemment payant : les admissions au service des enfants
assistés diminuent légèrement avant la guerre de 14, en même temps que les
abandons : avant 1914, 4 "filles-mères" sur 5 gardent leur
enfant.
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23-27 mai 1910, les 4 jours qui ébranlèrent
le monde d'Alexandre-Marcel-Stanislas
Lefresne
Les archives sont
sans pitié, même les pauvres archives des pauvres. Il existe aux Archives
Départementales un dossier de l'enfant Lefresne Alexandre-Marcel Stanislas.
Maigre sans doute et que le temps et les déménagements de documents
administratifs ont dû encore rabougrir.
Loin de la brutalité d'antan, la responsable du Service de l'Enfance vous
reçoit avec une dignité presque solennelle. Dire que le coeur ne vous bat pas,
qu'aucune sorte d'émotion ne vous rend timide et gauche, serait pure vantardise.
Voilà qu'un rideau va d'un coup s'écarter . Un père quasi-inconnu vous fera
face. Son enfance à Cellettes. Sa jeunesse de petit domestique agricole.
Les visites médicales. Les trousseaux. Le sourire de la Responsable du Service
de l'Enfance s'est fait navré. De la chemise jaune contenant des " pièces
annexées ", ne subsistent que le rabat supérieur et cinq feuillets. C'est de la
paperasserie administrative, du formulaire complété à l'économie. Il vaut mieux
que le petit Alexandre ne les ait pas vus. La " préposée au Bureau
d'Admission " de l'Assistance Publique, d'une belle écriture sans
fioritures a rempli les cases d'une feuille de " Renseignements " fournis sur "
la nommée Marie Lefresne qui déclare vouloir abandonner son enfant ".
Voilà, c'est dit. En 18 mots, chiffres et dates compris, ta vie
est racontée, ma pauvre Marie.
Célibataire.
Bréhan, Morbihan, 21 décembre 1886 (encore une erreur de date de
naissance - due à qui ? ) Bréhan. Journaliers. (ça, c'est
pour tes parents) Habite Landes depuis 5 ans. (Tu aurais
donc quitté ton berceau breton à 20 ans ?) Domestique. 300
f(rancs) par an.
Suivent alors deux
questions qui scellent le sort d'Alexandre, deux questions auxquelles la précise
Préposée répond le plus sobrement du monde. " Oui ", à : "
A-t-elle déjà été mère d'un enfant ". Et à " Ses parents
pourraient-ils l'aider à élever son enfant avec ou sans le secours
départemental ":" Non ".
Ite missa presque
est. L'administration sait être efficace : le même fatal 27 mai
1910, les événements administratifs s'enchaînent à toute vitesse au " Service
des enfants assistés ". C'est la préposée M. Poussin qui engage le jeu
: fiche de renseignements -on a vu-, puis courrier formaté à Monsieur
l'Inspecteur de l'Assistance Publique, l'assurant qu'elle a " offert à cette
femme les secours temporaires et le secours de premier besoin en l'engageant à
garder son enfant " ; mais la " demoiselle Lefresne Marie de
Landes ", bien décidée à faire de ce morceau de passé table rase, " a
persisté cependant dans son intention " ; alors que voulez-vous qu'elle
fasse la Préposée au Bureau d'Admission ? Elle ne peut que " prier "
son Inspecteur de " vouloir bien proposer à M. le Préfet l'admission de
l'enfant Lefresne Alexandre Marcel Stanislas au nombre des pupilles de
l'Assistance Publique". La parole est au médecin de l'hôpital de Blois : il
certifie donc, comme c'est son métier, que " le pupille Alexandre Lefresne
[ça y est mon petit Alexandre, te voilà pupille] n'est atteint d'aucune
maladie contagieuse " -solide le petit Lefresne, la trempe bretonne mâtinée
Beauce- et qu'il peut " sans inconvénient, être placé en nourrice ". Le
" sans inconvénient " laisse rêveur : on voit bien qu'on n'est pas encore à
l'ère psychologique ; corpore sano, ça suffit pour mens sana. En ce 27 Mai 1910,
le Préfet de Loir-et-Cher constate que l'enfant sus-nommé, doté d'une mère nulle
puisqu' " elle ne peut assurer l'existence de son enfant " , doit être
" admis dans le service des enfants assistés, au titre d'abandonné ".
Voilà : après 4
jours, avec l'extrait de naissance délivré par la Mairie, 5 papiers imprimés,
complétés a minima par des fonctionnaires consciencieux. 4 jours pendant
lesquels la peau de Marie a bien dû toucher la peau de son bébé, 4 jours pendant
lesquels Marie a bien dû entendre son bébé pleurer, 4 jours au cours desquels
s'est peut-être fabriqué un remords. Apparition fugace, donc, dans la vie
d'Alexandre. Presque de la poésie : une fée -mauvaise, mais fée quand même- a
déposé un petit bonhomme et pfuit ! elle s'est envolée. Mais où ?
Ce que Marcel n'a jamais
su -à moins que… ?- c'est que le vol a été court. Normal, aurait-il dit, les
sorcières sont lourdes. En 1910, Marie est donc à Landes-le-Gaulois, "
domestique " quelque part. Le 2 juin 1911, alors que le petit
Alexande-Marcel-Stanislas vient juste d'entamer sa 2ème année de vie, elle écrit
son nom sur un beau registre, à Selommes, où elle demeure désormais, "
domestique " toujours mais " agricole ", ainsi
qu'un Secrétaire de Mairie consciencieux le note d'une écriture magnifiquement
pleine et déliée. A-t-elle mis ce jour-là une robe blanche, comme
il sied à une jeune mariée ? Espérons, pour elle et surtout pour son désormais
mari, qu'elle sait mieux sourire qu'écrire : la graphie n'est visiblement pas sa
spécialité. C'est tout de même mieux que la mère du marié qui n'a pas signé,
ayant " déclaré ne le savoir ". Et il est vrai qu'être la fille d'une ménagère
et d'un cultivateur bretons à la fin du 19ème siècle ne prépare pas bien aux
travaux d'écriture. Mais, bon, voilà la seule trace qu'elle nous laisse, à nous
les Lefresne abandonnés. Dans cette union des humbles, teintons donc l'instant
d'émotion retenue. Reliquat, reliques. Ainsi fut-elle. La suite de l'histoire nous
conduit, l'année suivante, à Villefrancoeur, hameau de Villebouzon, là où son
Prince Charmant l'a emportée. Souris, Alexandre-Marcel-Stanislas : tu as une
petite sœur. Son nom ? Chut ! ça ne nous regarde pas. Marie nous a tourné sa
page. Son prénom, en revanche, n'a rien d'interdit, d'autant qu'il est, disons,
original : Méa. Si la petite Méa a été baptisée -et pour une fille de bretonne,
c'est à peu près obligatoire- le curé a dû faire une sacrée tête, et un ou deux
signes de croix en plus, on ne sait jamais jusqu'où peut aller le démon. Bien
que le sujet ne concerne pas la B.L.A. (Branche des Lefresne Abandonnés), notez
tout de même que ce curieux prénom est introuvable dans les listes les plus
pointues qui figurent sur le Web. A croire que le scribe ayant complété la
feuille de recensement de 1921 -d'une remarquable écriture, lui aussi- avait un
peu forcé sur le tord-boyaux…
Pendant que Marcel vit sa
vie de " pupille du Loir-et-Cher ", plutôt au sud de la Loire,
sa pondeuse vit la sienne de " ménagère " , épouse de "
patron cultivateur ", au nord. Dure vie sans doute, comme celle
des derniers petits exploitants de Beauce. Mais la bretonne devenue beauceronne
n'a probablement pas regretté d'avoir échangé son destin de fille-mère pour
celui d'honnête paysanne. Irons-nous jusqu'à lui souhaiter avoir eu un mari
aimant et sérieux, un quotidien enrichissant, une réputation impeccable, des
belles satisfactions avec sa fille unique, bref, une vie apaisée et sans
remords, après les tumultes de sa jeunesse ? A-t-elle, de temps à autre, pensé à
ce bout d'elle-même offert à l'Assistance publique ? A-t-elle confié à l'homme
de sa vie, ou au curé de Villefrancoeur, ce secret ? D'ailleurs, aurait-elle pu
le cacher ? Un demi-siècle durant, 30 kilomètres ont séparé les 2
Lefresne, parfois moins. Il est vrai qu'à cette époque, guère plus que
maintenant, le Nord ne rencontre le Sud. Le premier a sa capitale à Vendôme, le
second à Blois. Peu probable donc qu'ils se soient jamais croisés dans une rue
ou dans une fête. Le sort n'a pas voulu non plus que le frère et la sœur lient
connaissance. Au recensement de 1931, la Méa a dû prendre son vol
car on ne la note plus sous le toit familial. Petit toit d'ailleurs : au
recensement de 1962, le dernier qui indique la présence du couple déjà très âgé
-lui : 79 ans, elle : 77-, la maison, construite avant 1871, sans étage, compte
2 pièces en tout, sans eau courante, ni sanitaires intérieurs. Au moins, ce
palais des humbles est-il leur propriété. Au même moment, le fils rejeté n'est
guère mieux loti, et lui n'est encore que locataire. Le
journal local, le même pour la mère et le fils, fait état, dans les années 60, à
la rubrique "annonces légales" d'une vente X-Lefresne. Devenu quinquagénaire et
Marcel, l'ex-enfant rejeté a bien dû apprendre la chose et penser, même malgré
lui, à cette lefresne qui l'avait fabriqué. Rien dit.
A l'étape suivante,
Marie, devenue veuve, est presque orléanaise puisqu'elle vit à
Saint-Jean-de-Braye. Chez sa fille ? En hospice ? Les 2, l'un derrière l'autre
sans doute. Marcel aurait pu la rencontrer, d'autant que son métier de chauffeur
de car le conduisait tous les jours à Orléans. Le sort aurait pu, là aussi,
s'offrir quelques facéties. Par exemple une vieille grimpant dans un car et
payant son ticket au chauffeur, sans savoir qu'il s'agissait de son fils...
Dernier lieu où se croiser: l'église de Saint-Jean
de Braye où sa famille reconnue s'est réunie autour du cercueil de "Mme
X..., née Marie Lefresne". De justesse : il s'en est fallu de 3 ans et demi
qu'elle survive à son surgeon tôt coupé. Avril 76 pour l'une, chargée d'ans, décembre
79 pour l'autre, encore si jeune. Aux obsèques, il aurait pu saluer sa sœur,
ses nièces, petits-neveux et petites-nièces et leur faire remarquer qu'il était
le seul à porter le nom de la défunte. Il n'est pas certain qu'il ait posé
des fleurs sur le cercueil. Ou alors des orties.
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