les ROBIN...
Les Robin ne manquent pas en France. A Cellettes même, au début du siècle, on a deux femmes Robin, une Louise et une Cécile, sans rapports connus avec ceux qui nous intéressent. Eux sont bourguignons, originaires de Curtil-sous-Burnand, près de Saint-Gengoux-le-National, en Saône-et-Loire. 5 sœurs, 2 frères, ayant vécu à la fin du 19ème siècle et dans la première moitié du 20ème.
Pierre Robin, le père de Renée , était vraisemblablement domestique en région parisienne en 1891 quand sa fille est née. Très stylé, si l'on en croit sa petite fille Yvonne , navrée de l'avoir vu sombrer plus tard dans l'alcoolisme. La mère de Renée portait le rare prénom d' Emérance pour l'état-civil, mais l'usage la désigne Cécile -c'est ainsi d'ailleurs que le couple a  appelé sa seconde fille. Depuis le début du siècle (recensement de 1901), après avoir vécu au " Bout du Pont ", de l'autre côté du Beuvron sur la route de Contres, les Bailloux (ou Baillou) dont elle était issue habitaient à l'orée de la forêt de Russy, sur la route de Blois, au hameau de Vaugelé, collé au parc du château de Beauregard.
 
Comment Pierre Robin de Bourgogne a-t-il rencontré Cécile-Emérance Bailloux de Cellettes , allez savoir. Le plus vraisemblable est que la domesticité les a rapprochés. Aux portes de la Sologne viticole, Cellettes était alors la résidence de plusieurs familles plus ou moins nobles, encore à cette époque gourmandes d'emplois domestiques. Le destin des filles pauvres de la campagne les conduisait naturellement dans les offices.
A la fin des années 40, la maison (à droite sur la photographie) où vivait encore la " grand-mère Robin " avec un pensionnaire, comptait une pièce sombre avec un mobilier simplissime peu engageant. La vieille entassait sa vaisselle et des provisions dans une maie et mes souvenirs ont surtout retenu l'odeur puissante qui s'en dégageait. Mais ce sont des souvenirs de gamin du 20ème siècle heureux, devenu quasi-bourgeois et donc de sens délicats.
 
Vaugelé donc. Avant la grande guerre, s'y installent les Robin, avec la belle-mère, veuve Bailloux, dans la partie droite des 2 petites maisons mitoyennes composant un bâtiment bas le long de la route de Blois. La partie de gauche abritera d'autres familles que le sort rapprochera des Robin-Bailloux. La "mère Foulon", par exemple, qui élevait (au sens animal du mot...) de nombreux "enfants assistés"; le petit Alexandre Lefresne pourrait bien avoir rencontré là sa future épouse, Yvonne Robin-Merveille. La famille Leclerc vivra peut-être ici et l'un des fils épousera Cécile, la jeune soeur de Renée . Bref, tout un petit monde que les déchirures de l'entre-deux guerres et surtout de la guerre 39-45 se chargeront de disperser. 
 
Selon une légende familiale, Les Robin auraient acquis leur toit grâce à une libéralité -un prêt ?- des " seigneurs " de Beauregard, où Emérance faisait la cuisine, quand son homme était maître d'hôtel. Mais nulle part on ne trouve trace d'une Robin, cuisinière à Beauregard. Quant au " maître d'hôtel ", il pourrait bien surtout avoir officié dans les souvenirs fantasmés de la petite fille Yvonne qui a transmis, de bonne foi bien sûr, cette pieuse invention à sa descendance. Si le couple a été domestique -et pourquoi pas alors " cuisinière " et " maître d'hôtel " ?- c'est à Bougival, en Seine-et-Oise qu'il a exercé. Mais en réalité, on ignore ses activités avant 1911. On sait seulement que, dans la décennie suivante, Pierre Robin est " journalier agricole ", quand sa femme élève des nourrissons comme sa mère précédemment.
 
En 1916, le voilà, entre autres occupations, fossoyeur: une délibération municipale lui accorde une augmentation de 2 francs par fosse creusée, vu, déclare-t-il pour appuyer sa demande, "la difficulté du terrain". Mais le travail est décidément trop pénible. Il démissionne en 1919. En 1921,  il devient " cantonnier communal " à Cellettes, ce qui, à défaut d'une promotion professionnelle, constitue un net progrès social. La délibération municipale qui lui accorde ce poste, définit -brièvement- son contrat de travail et fixe sa rémunération à 200 francs par mois. La "réserve expresse" qui lui impose de "consacrer tout son temps à la commune sauf les dimanches et jours fériés " semble indiquer la médiocre confiance des édiles pour le futur cantonnier... Est-ce une précaution d'ordre général ou une clause liée à la personnalité de Pierre Robin ? L'homme, jusqu'alors journalier, c'est à dire sans emploi fixe, traînait-il une réputation incertaine ? Parmi les signatures de conseillers municipaux, celle de Philippe Merveille. Ainsi les deux noms Robin et Merveille figurent-ils pour la deuxième fois sur un document officiel, après l'acte de mariage de leurs enfants… Mais le second, élu, devenait patron par délégation du premier, employé communal : on ne saurait mieux marquer la différence de condition des deux familles.
Le troisième type de document commun Robin-Merveille ne corrige en rien la hiérarchie sociale. Ce sont deux " états nominatifs " : l'un énumère les " individus privés de ressources qui ont droit à l'aide médicale gratuite " et l'autre, les "vieillards infirmes et incurables ". Dans les années 30, Pierre Robin y figure comme " paralytique incurable ", et Philippe Merveille, au titre de vice-président du Bureau de Bienfaisance de Cellettes…Ce fossé de conditions, que les années ont encore accentué, explique sans doute pourquoi le Merveille des années 10 avait vu avec aigreur son unique fils et présomptif successeur épouser une fille Robin.
 
L'existence -et le nombre- de photographies constituent un marqueur social pertinent pour les familles du début du 20ème siècle. Leur quasi-absence chez les Robin-Bailloux ne fait que confirmer la modestie de leur rang. La photo du mariage de leur fille cadette Cécile, née en 1903, n'en prend que plus d'importance.
 
Devant, probablement, la maison de Vaugelé, les Robin et les Leclerc posent. Les deux familles ayant été voisines, les amoureux n'ont pas eu à changer de province pour se rencontrer. Pas de grandes toilettes, une certaine décontraction de la jeunesse du dernier rang, un décor quotidien sans chichi de verdure ou decorum de castel-façade  : ce mariage des années 20 fait bonne franquette. L'artiste de la boîte noire a négligé la mise en scène et la jeune fille à droite, engoncé dans son manteau semble de trop dans la photo de famille; au moment où le petit oiseau est sorti, elle a dû bouger, elle a du flou dans le regard. Quand on connaît la taille des lignées concernées par cette union, qu'on ajoute les Bailloux aux Robin et les deux aux Leclerc, on peut s'attendre à des noces bien pleines. Eh! bien non; 28 adultes, 3 enfants, les mariés, et basta. Mariage populaire donc, avec tout de même, à y regarder de près, des différences de condition: il y a de la ville et de la campagne là-dedans et les deux coiffes féminines (à gauche, 1er et 2ème rangs) semblent appartenir à un autre univers que les cheveux du dernier rang .
 
On peut supposer, sans certitude, que les parents des mariés les entourent. Mais où sont les Robin ? Aux côtés de l'épousée ou à ceux de l'épousant ? Pour qui veut les mettre en évidence au moins une fois dans l'histoire, c'est irritant de devoir avouer qu'on ne sait pas! 
 
Qui est la mère ?
Pour la mariée, pas de doute: Cécile Robin, nouvelle épouse Leclerc, le sourire un peu rentré. Mais sa mère, Emerance-Cécile Bailloux-Robin ? La femme de gauche, visage ouvert ? Celle de droite, sourire crispé ? Il ne reste plus qu'à se livrer au jeu des ressemblances pour déterminer qui est qui.

Est-ce Renée , veuve mais encore Merveille, la soeur de Cécile, tout en haut de la photo de groupe, ici à gauche ? Et à côté, avec une coiffe à l'ancienne sur une étrange coupe de cheveux, la grand-mère de la mariée, veuve Bailloux -mais alors, née en 1843, elle serait très âgée- ou une tante ? Le jeu des ressemblances-différences continue.

Le mystère n'est pas moins complet chez les hommes. Le beau vieillard blanc au col dur impeccable et au sourire ravi: père ou grand-père de l'un des nouveaux époux ? Et dans ce cas, lequel ? A côté, ce visage fatigué, cette tenue un rien plus négligée, appartiennent-ils à Pierre Robin, cantonnier communal ?
 
En définitive, Emérance-Cécile survivra à son mari et à sa fille aînée. Le premier meurt en juin 1936 à 70 ans, la seconde, en décembre 1943, à 52 ans, alors qu'Emérance, elle, quitte ce monde à 77 ans, en 1949. Sa cadette, Cécile, ayant depuis longtemps abandonné Cellettes, aucun Robin n'habite plus le village.  
 
Bien plus tard, dans les années 60, Yvonne , la petite fille,  reçut de l'administration fiscale un avis pour héritage. Dans la Bourgogne originelle de Pierre Robin, précisément à Curtil-sous-Burnand, berceau de la famille, une de ses soeurs, la dernière présente là-bas, était morte le 14 novembre 1944. La défunte, veuve Bloch, n'avait pas eu d'enfants. En tout cas, il n'en était pas question. Il convenait donc de partager ses biens entre les colatéraux. Aucun Robin parmi ces derniers: les 5 soeurs de Pierre avaient abandonné leur nom à leurs maris et son frère et lui-même n'avaient pas eu de fils. Sur le plan démographique, le bilan Robin-Curtil-sous-Burnand n'était guère glorieux: pour 7 enfants, une descendance directe maigrelette de 5 filles et 1 garçon!
 
Personne ne connaîtra le nid bourguignon des Robin: la succession n'ayant jamais pu aboutir en raison de la dispersion des héritiers, l'Etat a vendu  les 10 ares de terrain et la maison . Celle-ci inhabitée et menaçant ruine a dû être démolie par la commune. Le Centre des impôts fonciers de Macon précise même que le coût de l'opération a largement dépassé la valeur de la propriété, histoire de décourager sans doute toute vélléité de récupération. Quant à l'étude de Maître Waltefaugle, notaire à Saint-Gengoux-le-National, elle ignore tout du "petit mobilier" et du "compte" de la "succession de Mme Veuve Bloch née Robin ".
 
A Curtil-sous-Burnand (la photo prise pendant un méchant hiver ne donne pas une très bonne idée du village charmant), le cimetière abrite les restes de plusieurs filles Robin, suffisamment fortunées pour s'offrir une concession et une pierre tombale, ce qui ne fut pas le cas de leur frère Pierre, mort indigent à Cellettes.
 
Finis les Robin de Curtil. Partis les Robin de Cellettes. Poussières retournées à l'oubli. Vies sans relief, morts sans éclat. Dites-nous, Catherine, Marie, Jeanne, Francine, Julie, et vous Benoit et Pierre, êtes-vous certains d'avoir existé ? Le cimetière de Curtil-sous-Burnand et ce trop court récit conserveront-ils donc seuls la trace de votre passage ?