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Chez les lefresnes
le chemin des ancêtres est parfois un cul-de-sac : des 4
grands-parents qui constituent l'honnête ascendance de chacun, l'un leur
manquera toujours. Papy
Alfred
et mamy Renée
d'un côté : bon, le maternel est repéré. Le paternel boite. A peine connaît-on,
malgré eux, l'ovule et le ventre qui l'a abrité; ça s'appelle
Marie . Le spermatozoïde, lui, gardera
le charme et l'angoisse du mystère.
Les 3 ancêtres connus appartiennent à des univers sociaux
différents. Le haut est à chercher du côté des Merveille, les parents d'Alfred:
ils sont propriétaires-cultivateurs moyens, le père venant de Beauce. A armes
presque égales, et en bas, nous avons des journaliers agricoles Lefresne ou Le
Frêne en Bretagne, et des domestiques Robin venus de Bourgogne à Paris puis
dans le Val de Loire au service de bourgeois. Le résultat métissé de ces
migrations ordinaires à la fin du 19ème siècle a pris souche à Cellettes, aux
portes de la Sologne viticole.
A vrai dire, ni Alfred ni Renée n'ont
vraiment laissé de traces qui permettraient de reconstituer leurs courtes vies.
Déracinés l'un et l'autre, posés ici ou là par les vicissitudes du demi-siècle
noir, ils n'ont pu planter leur totem nulle part. L'histoire des humbles est
bien difficile à établir. A peine peut-on, en appelant l'Etat-Civil au secours,
avoir une petite idée de leur destin social. Quelques méchantes photographies,
patiemment décodées, nous diront peut-être un infime morceau de leur
personnalité. Remercions le sort qui nous a livré un minuscule stock de cartes
postales, grâce auxquelles nous pourrons approcher leur sensibilité. Mais de
leurs goûts, leurs travers, leurs qualités, leurs opinions, leurs peurs, il
faudra se résoudre à ne savoir rien.
Voilà un demi-siècle, le premier du
20ème, si proche de nous pourtant, que les bouleversements technologiques nous
rendent illisible… Il va bien falloir,
Alfred et Renée , que vous nous parliez un peu
tout de même. Quand on est des proto-lefresnes, on doit aux lefresnes autre
chose que des sourires de jocondes ! Le mystère a son charme qui n'égalera
jamais celui de la connaissance. A nous trois donc !
Quant à toi
Marie , tu ne nous intéresses pas
beaucoup. C'est notre revanche. Si nous portons ton nom, à ton corps défendant,
c'est que le type qui t'a sautée n'a pas voulu ou pas pu assumer. Comme la chose
a dû avoir lieu en septembre 1909, c'était peut-être un soir de
vendanges.
Tu vois bien que tu
as des circonstances atténuantes.
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