1933. La marche dans la nuit a commencé.

6 mois suffisent à l' Allemagne cultivée pour organiser la barbarie la plus abjecte.

En Ukraine opulente, les rimes en " ine " s'enrichissent d'un mot à vrai dire vieux comme l'humanité : la famine, qui endort au soleil du socialisme réel quelques millions de koulaks.

Aux puissants Etats-Unis, la défaite des libéraux et le lancement du New Deal n'empêchent pas les chômeurs, par millions, de battre le pavé.
 
En ce 29 juin 1933, les Allemands sont donc préservés des chimères contestatrices depuis une semaine avec l'interdiction du Parti Social-Démocrate, et des dangereuses séductions de la culture depuis un mois et demi et le grand autodafé de " livres dégénérés ".

En ce 29 juin 1933, la France en est à son énième gouvernement radical et les intellectuels déboussolés commencent à se perdre dans le triangle Berlin-Rome-Moscou.
29
 
 
 
 
juin
 
 
 
 
1933
En ce 29 juin 1933, l'Echo du Centre, journal bien-pensant anti-gauche qui paraît les mardi, jeudi et samedi de chaque semaine, s'agace en Une d'une opération de propagande " cousue de fil blanc " menée par les Allemands contre une "  …attaque  rouge sur Berlin ", et destinée, selon son éditorialiste, à préparer le réarmement aérien du Reich -et comme l'avenir lui donnera raison !
 
Ajoutez à cela:
 
nos " pacifistes " qui ne comprennent rien aux bombardements venus du ciel et qu'un autre édito cloue au pilori en page 3,

les difficultés de la viticulture qui sur-produit à cause d'une politique aberrante d'aide au degré alcoolique sans le moindre souci de qualité -ah ! les pinardiers du Midi et d'Algérie ont fait du beau avec leur piquette-,

les orages de grêle aux Montils,

la vigne attaquée par la Cochylis et dont la floraison est handicapée par la pluie.

Et n'oubliez pas, s'il vous plaît, l'arrestation, en Allemagne, " sous le signe de la croix gammée " d'un général épris de paix, pendant que, la veille, mercredi 28 juin, la première étape d'une " marche de la faim " Saint-Nazaire-Nantes de 3 jours mettait sur la route un nombre croissant de chômeurs.

 
Bref, au mitan de l'année 1933, ce n'est pas la joie.
 
Et pourtant, les cloches de l'église de Cellettes sonnent joyeusement.
 
et elles font bien, car l'événement est d'importance. Quelques personnes de ma connaissance en font même
 
l'événement le plus important de l'histoire humaine
 
Laissons donc sonner encore les cloches. Ah ! oui, sonnez, cloches de l'église de Cellettes. Y a-t-il un orgue ? Non, tant pis.
 
On la jouera à l'harmonium la Marche Nuptiale .
 

    29

 

    juin

 

   1933

Yvonne Merveille et Marcel Lefresne se marient
 
 
beaux comme des dieux
 
 
tout neufs.
 
De cette cérémonie fondatrice, et ici totalement imaginée,  il ne reste rien que des papiers d'Etat-Civil. Yvonne élevée dans la religion, Marcel mécréant sans doute plus par instinct que par cheminement ontologique : la cérémonie religieuse est quasi-certaine. Mais, faute de traces concrètes, on est réduit à la supputation. Ce qu'il doit être fier, Marcel, d'épouser une petite Merveille ! Comme elle est heureuse, Yvonne, d'avoir pour elle toute seule son beau Marcel ! Quand, bien plus tard, et si rarement, le passé revenait, je jure avoir vu dans ses yeux l'éclair de ce bonheur lointain. Ou alors je crois que j'ai vu. Ou alors, j'imagine avoir cru. Mais ça m'arrange bien. La Merveille devient Lefresne, c'était ainsi, les filles jetaient leur nom, souvent avec joie. Elles n'avaient pas encore fini d'apprendre à exister tout à fait pour elles-mêmes.
 
 

Sous l'influence sans nul doute du grand-père, un contrat de mariage a été passé devant le notaire des Montils: dame, Yvonne était l'héritière pour moitié du couple Merveille et il convenait donc de réduire aux acquêts la communauté de biens, pas que ce traîne-patins de Lefresne s'imagine entrer ainsi dans la succession... Moyennant quoi, l'ancêtre a apposé sa signature sous celle de sa petite fille, Merveille pour la dernière fois.
Le témoin du marié, cantonnier nettement plus plébéien, est venu du Puy-de-Dôme. Marcel et lui ont été "nourrissons" ensemble chez la "mère Foulon". Une sorte de grand-frère pour le jeune marié, qui n'a pas laissé d'autres traces chez les Lefresne, bien qu'une correspondance se soit, semble-t-il, établie entre les deux familles. Tout de même, venir de Compain, au diable-vauvert, à Cellettes, en pleine semaine, et pas de RTT ou de congés payés en 1933, c'était une jolie marque d'amitié.

 

 
Et la photo ? Pas de photo! D'ailleurs, chez les Lefresne, la photo de mariage en groupe familial se fait rare. Les fondateurs Yvonne et Marcel n'avaient pas de sous, c'est du moins ce qui se disait bien plus tard. La deuxième génération s'est offert quelques portraits officiels des mariés. De famille, pas. Il faut attendre la troisième génération pour avoir droit à la vraie photo, et encore, ce ne sont même pas des mariages Lefresne. Comment voulez-vous que les souvenirs se fixent, s'enjolivent, se sagatisent, s'ils ne peuvent même pas s'appuyer sur ces fières preuves d'existence familiale que sont les photos de mariage ?
 
Pourtant, Yvonne et Marcel ont bel et bien posé, sans doute à peu de temps du mariage (avant ? après ?). Beaucoup plus tard, une de leurs petites-filles a restauré une méchante épreuve et en a tiré un petit chef-d'oeuvre d'humanité.