Philippe Merveille est "
propriétaire ", qu'on se le dise. Cultivateur, c'est bon pour les
petits. Les Cellettois en ont fait un conseiller municipal et même, sujet de fierté
de sa petite-fille, un " capitaine de pompiers ". C'est dire. Même si
le grade véritable était "lieutenant". Mais passons : le seul intérêt de Philippe Merveille,
pour les Lefresne, c'est d'être le grand-père d'Yvonne. Sa vie de notablicule
les laisse indifférents et ils n'y piocheront que ce qui a un rapport direct
avec eux puisqu'il est entendu qu'il a fallu une Merveille pour faire des
Lefresne.
Disons-le tout de suite : le vieux Merveille n'a pas laissé
dans la famille Lefresne un souvenir attendri. Et sa femme, pas davantage. Au
début des années 50, veuve et âgée, elle se prétendait aveugle, et comme elle ne
portait pas de lunettes, sans doute l'était-elle
presque devenue. Mais va te faire voir pour la compassion. Ses arrières-petits enfants
Lefresne la prenaient davantage pour une vieille acariâtre que pour une mamie-gâteau. Quand
le dernier eut la chance de "faire des études", elle n'y vit pas
les débuts des temps nouveaux marqués par l'émancipation intellectuelle des
familles populaires. Elle se contenta d'une simple vanité clanique. Sa petite-fille
Yvonne, à qui elle avait si peu donné, passait chaque semaine une demi-journée à
faire son ménage, laver son linge, plus comme un devoir de famille, d'ailleurs
inscrit dans un acte notarié, que comme une manifestation de tendresse.
Bref, séquelles de la quasi-rupture père-fils,
intervenue dans les années 10 et que la mort ô combien prématurée du second n'a
pas permis de réduire, ou ressentiment à l'égard d'ancêtres peu aimants ?
Chez les Lefresne, les Merveille de la Bruyère ont toujours passé pour des
vieux, durs et injustes, alors que ceux de la Ferté-sous-Jouarre n'ont laissé
que de bons souvenirs, Yvonne gardant même des relations avec ses cousins
jusqu'au bout.
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21 septembre
1928.
Philippe Merveille a 67 ans . Homme
" arrivé " et toutes les raisons d'en être satisfait. Les électeurs de Cellettes
en ont fait un Conseiller Municipal quasi inamovible depuis 1900 (une seule
interruption de 1904 à 1908), les pompiers, leur commandant, et le Bureau de
Bienfaisance, son vice-président.
Depuis son arrivée à La Bruyère, à la fin
des années 1880, il a construit un joli petit patrimoine. Son épouse, une fille des
Montils voisins, lui a, pendant ce temps, fabriqué deux enfants, un garçon puis
une fille, le " choix du roi ".
Notable de hameau et peut-être un peu plus : en 1919 avec 81
% des suffrages exprimés, puis en 1925, avec encore 66 % des voix, il est
le mieux élu des 12 Conseillers Municipaux de Cellettes. Il recueille même 3
voix à l'élection du maire.
Le couple a donné à ses enfants une
éducation tout à fait honorable qui a conduit le fils et
la fille au certificat d'études -ce n'est pas rien au début des années 1900.
Comme le hameau de La Bruyère est très éloigné du bourg, la fille a même
été mise en pension à l'école, chez l'institutrice -la laïque, pas l'autre. Voilà donc
des gens, en ce début de 20ème siècle, ouverts sur l'instruction, en vrais
républicains. Oui vraiment, Philippe Merveille peut regarder sa vie avec
fierté.
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