Côté
Merveille, de l'assurance
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Oui vraiment, en ce jour de
septembre 1928, Philippe Merveille peut regarder sa vie avec
fierté.
Et l'avenir de la lignée avec
inquiétude. Il a payé lui aussi l' " impôt du sang " : Alfred, son unique fils,
a été tué sur le front d'Artois en 1915. A vrai dire, l'héritier n'était guère
porté sur la terre puisque, avant la guerre, il avait rejoint la capitale pour y
exercer un métier de " garçon de bureau " chez un banquier. Si l'on ajoute que
son mariage avec une fille de Cellettes, vouée par naissance à la domesticité,
rompait la spirale familiale d'ascension sociale, que cette union, avant même
que le maire l'eût consacrée, n'avait donné qu'une fille, avec, en somme,
un doute de filiation, on peut imaginer la peine successorale des
Merveille.
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Y a-t-il eu
rupture entre le père et le fils pour cause de mésalliance ? Ou plus simplement
séparation à l'amiable parce que les quelques hectares de terres et de vignes
n'auraient pas suffi à faire vivre deux familles ? Les deux raisons ont pu
d'ailleurs se compléter : la deuxième, classique dans le contexte d'exode rural,
aurait accéléré un départ rendu préférable par la première. A l'appui de la
rupture, citons tout de même le mariage parisien du fils en l'absence de toute
famille, à laquelle l'union fut seulement "notifiée". Mais ne tranchons
pas : l'explication est peut-être toute différente.
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De la Bruyère,
on aperçoit la ligne d'arbres qui longent le Beuvron. Le chemin, à gauche, avait
le statut de Chemin Rural depuis le milieu du XIXème siècle et prolongeait
celui, aujourd'hui déplacé, qui accédait au hameau. Une passerelle de bois
permettait même de franchir la rivière au niveau du Moulin
Neuf.
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Exit tragiquement le fils.
Il revient donc à la fille d'assurer
la continuité patrimoniale. Elle, au moins, suit la tradition villageoise : elle
épouse un paysan du cru, issu d'une famille convenablement implantée. Le jeune
couple valorise la propriété par son travail, et d'autant plus que l'ancêtre
vieillit et consacre une part de son temps aux affaires publiques.Comment leur
reprocher de souhaiter assurer leurs arrières ? Comment en vouloir aux
parents, devenus vieux, de sauvegarder l'intégrité du petit domaine auquel ils
ont consacré leur vie ?
Tel est bien l'objet de l'acte
signé le 21 septembre 1928. Ce jour-là, devant notaire, les parents
Merveille-Boucher font " donation entre vifs en avancement d'hoirie " à
leur fille d'une part importante de leur patrimoine. Ils en assurent ainsi la
continuité. L'estimation du tout est fournie par ce que la fille s'engage à
régler : 22 000 francs. Même pour une époque et un milieu rural encore peu
monétisés, la somme -environ 70 000 F d'aujourd'hui- n'est pas
considérable. On verra d'ailleurs, dans le récit partisan Lefresne, qu'elle ne
fut pas versée. Bref, si le but était de conserver l'intégrité du patrimoine,
sans charges insupportables pour les bénéficiaires, l'acte du 21 septembre 1928
l'avait accompli.
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La donation-partage du 13 février 1939 parachève la transmission. Devenu très vieux, Philippe Merveille met ses affaires en règle avec le droit de succession. A sa fille et à son gendre paysans, il donne les terres que ceux-ci ont cultivées. A sa petite-fille, il fait remettre, pour solde de tout compte -pour soulte dit-on en langue de notaire- une somme de 18 000 francs (environ 45 000 F d'aujourd'hui). La propriété est intacte et elle demeurera entre les mains de qui peut l'exploiter.
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Sachant de quel
poids symbolique pesaient la terre et sa possession pour un paysan du XIXème
siècle, quelle conquête avait représentée l'accession à la propriété pour des
générations de ruraux, et quelle fierté devait éprouver un fils de meunier pour
avoir " acquis du bien ", qui pourra reprocher à Philippe Merveille d'avoir tout
fait pour préserver de la dispersion l'œuvre d'une vie ?
Nous sommes en 39. La France ne s'est pas encore
déruralisée. Les " valeurs " paysannes constituent toujours le substrat de la
société, le fondement de sa mécanique -et ce n'est pas l'épisode pétainiste, quelque honteux
qu'il ait été, qui l'aura démenti. On pourra bien, en ville, brocarder,
puis, l'occupation et le marché noir aidant, jalouser les bouseux, ceux-ci, sûrs
de leurs principes de vie, croiront encore longtemps à une vérité intangible : la
terre est la récompense du travail. En la remettant au couple resté à la ferme,
au pays, le vieil homme a dû avoir le sentiment d'accomplir un acte utile et
juste.
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Des années plus
tard, en 1957, à la mort de sa veuve, un ultime partage a eu lieu. La guerre
était passée, la grande vague d'exode rural vidait les campagnes et même si la
paysannerie n'avait pas encore entamé sa révolution, elle avait perdu de son
poids symbolique. Et puis que restait-il à disperser ? De la lingerie, quelques
meubles, des babioles… On partagea, un peu à la manière d'un roman paysan façon
Maupassant. Âpreté, dit-on, d'un côté ; ironie de l'autre. Il restait trop peu
pour que tout cela ne fût pas dérisoire. Le fil qui reliait de si ténue façon
les Lefresne à La Bruyère fut définitivement cassé. Les relations familiales
déjà presque inexistantes s'interrompirent. Le patronyme " Merveille " était
perdu à Cellettes et les deux petites filles de Philippe, uniques rejetons de la
lignée, ne se croisèrent plus qu'aux enterrements. Jusqu'au dernier, celui
d'Yvonne Merveille-Lefresne, auquel sa cousine France assista, presque anonyme.
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et pour finir...
Aux confins de la Bruyère, mais déjà sur la commune de Seur, un méchant petit bois reste le seul témoin de l'histoire familiale. Un acte notarial du 9 janvier 1960 partage cette ultime trace du patrimoine Merveille entre les deux héritières, la fille Thérèse et la petite-fille Yvonne. 2590 m2 longeant le " rain (ou rhin, ou rein ) de la forêt de Russy " et estimés à 250 F : ce confetti de succession est divisé en 2 lots, que le sort est chargé de répartir.
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45 ans plus tard, nous voilà
déjà à la cinquième génération après
celle des ancêtres. A la chiche fécondité de la Bruyère a succédé
une démographie plus luxuriante : une flopée d'enfants, petits enfants, arrières-petits enfants sont
issus des deux légataires. Particulièrement prolifique a été le mélange
Merveille-Lefresne qui a produit une quarantaine d'héritiers! Pour 1295
m2 de bois-taillis, la part qui revint à Yvonne, c'est beaucoup.
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