Il semble que ce soient les Merveille de La Ferté-sous-Jouarre qui accueillent en définitive la veuve et l'orpheline : l'adresse de leur entreprise de transport, 7, rue de la Gare, figure au fichier de " The fatherless Children of France ", cet " Office de répartition des dons américains aux orphelins de guerre ".
A ce propos, dans le cas où Yvonne aurait omis de remercier sa " généreuse bienfaitrice ", comme l'y invite avec insistance le courrier d'avis de renouvellement du 10 décembre 1919 :

Grand merci, Mrs Joseph Fowler, Duarte,

California (U.S.A.)

pour vos 45 francs trimestriels .

 
On ne disait pas encore "solidarité", ni ONG, ni "ingérence humanitaire". Mais la charité avait déjà un côté affectueux bizness : écrire un mot au donateur après chaque mandat était considéré comme " le seul moyen de fixer sur vous son affection et d'obtenir en l'amenant à s'intéresser personnellement à vous, qu'il vous continue ses bienfaits ". De l'affection tarifée 15 francs par mois, c'était donné. Mais notons qu'au même moment, la Nation se montrait plus généreuse en discours qu'en pensions pour ses "pupilles" : les suppléments pour orphelin versés aux veuves étaient misérables (environ 300 Francs par an...).
Je ne sais si Mrs Fowler a mouillé de larmes émues les courriers de ma petite fatherless mother : Yvonne n'avait guère conservé de souvenirs dans ce domaine. Allons, tant mieux si l'épouxless wife Renée a fait bon usage de cet argent, sans trop tenir au courant sa fille.
 
De toutes façons, le 10 décembre 1919, Yvonne Merveille n'est plus à La Ferté depuis quelques mois.
 
Certitude : elle vit à Pellevoisin, au sanatorium-orphelinat des Besses. Incertitude : est-ce l'orphelinat ? est-ce le sanatorium ? En faveur du sanatorium, il y a ces quelques allusions, trouvées dans des courriers, à une santé fragile. En faveur de l'orphelinat, on notera la difficulté qu'avaient beaucoup de veuves de guerre d'assumer totalement l'entretien de leurs enfants. Comme la situation matérielle de la mère d'Yvonne nous est à peu près inconnue, on se gardera de trancher.
 
Après la Grande Guerre, le sanatorium de Pellevoisin, dans l'Indre, appartient à une " ?uvre de Mademoiselle Bonjean ", peut-être, à si peu de distance des lois laïques sur les congrégations, le faux nez d'une association religieuse, qui patronne d'autres établissements à Tours. Quoique, dans la course aux orphelins qui s'est engagée dès 1914 entre les " cléricaux " et les laïques, nul n'ait intérêt à cacher sa bannière . 
 
Aujourd'hui, les lieux sont tenus par l'Association Saint-Jean Espérance. On n'y accueille plus les orphelines de guerre ou les tuberculeuses, mais les victimes de la drogue. Bonjean, Saint-Jean, on reste dans les évangiles. Celui qui dirige la structure actuelle, dans le langage du 21ème siècle, paraît très urbain, voire chaleureux. Peut-être la même chaleur habitait-elle les lieux quand la petite Yvonne y vivait ? 
 
Quatorze cartes postales concernent cette période : trois écrites par elle, onze qu'elle a reçues. Les cartes, bien sûr, ne sont qu'un pauvre témoignage. Dans cette vie d'internat, la petite Yvonne écrit à sa " chère petite maman " qu'elle ne s'ennuie pas, qu'elle s'amuse, même, avec les " petites compagnes ", ce qu'on écrit toujours par convenance ou même par suggestion quand on a 8 ans et qu'on est loin des siens. On la voit figurer sur un groupe de communiantes , souriante dans sa belle robe blanche, le visage rond et frais, jolie tout plein. Est-ce sa " communion privée ", qu'elle réclame si fort à sa mère (" tu me le dira sur ma lettre si je peux faire ma communion privée "), ou la " première communion ", celle qu'on fait à 10-11 ans ? Dans ce dernier cas, le plus probable, elle serait donc restée à Pellevoisin au moins jusqu'en 1922.
 
la vie au grand air
 
 
On ne peut guère se faire une idée précise de la vie à l'orphelinat à partir des courriers retrouvés. L'établissement actuel n'a pas conservé d'archives de cette époque et la Congrégation des Petites Sœurs du Cœur de Jésus (ouf !), ancienne propriétaire des lieux, aujourd'hui installée à Nancy, répond, aimablement, la même chose. Voilà encore un bout de passé dissous dans l'Oubli. Il ne reste, là aussi, que des cartes postales éditées par l'institution qui montrent le cadre champêtre dans lequel vivaient les " petites " pensionnaires. Celles-ci posent sagement devant des bâtiments élégants, d'allure rurale. Les plus jeunes, proprement habillées d'une petite robe chasuble claire, un chapeau de paille sur la tête l'été, une courte pèlerine avec capuche l'hiver, se donnent la main. Peut-être la petite Yvonne fait-elle partie de la ronde mimée par les enfants ? Les plus âgées portent la même robe, mais serrée à la taille. Toutes ces gamines paraissent en bonne santé : s'il s'agit réellement d'un sanatorium, l'air campagnard de l'Indre a fait des miracles…
 

Est-ce Yvonne sur la photo de groupe ? Une lettre de la "tante Marie" ( Marie Merveille de La Ferté-sous-Jouarre, tante d'Alfred, le père d'Yvonne) pourrait nous le faire croire. La petite fille avait la facétie dans ses cordes et le fait qu'elle figure sur une photo éditée par l'institution montre qu'elle y était bien intégrée. Egalement que sa fantaisie était connue, voire encouragée...