Promène-toi, petite souris, sur les petites communiantes. Peut-être trouveras-tu Yvonne ?
 
C'est un petit carnet de 6 cm 8 sur 10 cm 7, couverture cartonnée noire, avec au centre, soigneusement découpée et collée, une pieuse image virginale. Une main habile a écrit sur la première page, bien au milieu, en belles cursives verticales : "  Ma retraite ", en haut, élégamment penché : " Ecce Agnus Dei " et en bas, " Yvonne Merveille, 25 mai 1922 ". Pour les Lefresne à venir, mécréants et cathos confondus, pas de doute : le vrai agneau de dieu, ce fut elle, Yvonne.
 
L'écriture d'abord appliquée puis de plus en plus gauche, l'orthographe bancale,  le vocabulaire approximatif : il y a là-dedans de quoi s'amuser et s'attendrir? Emotion niaise, bien sûr,  qui saisit les enfants à la vue de vieux cahiers écrits jadis par leurs parents. Mieux qu'une photographie, venant d'une époque où l'image garde l'apprêt des poses, les petits textes du passé font surgir les gamins qu'ils ont été. Yvonne, en belle robe, la coiffure impeccable avec le gros n?ud-noeud, les bottines brillantes, seule sur la chaise du photographe, ou debout au côté de ta mère, ou près de tes cousins, propres comme des euros neufs, tu l'as ton bon dieu, sans effort ni pénitence. Le regard innocent et le sourire de l'ange. Plutôt jolie avec ça. 80 ans plus tard, tu parles si tes rejetons ont la larme à l'oeil.
 
Mais, avec son écriture qui se dégrade au fur et à mesure des " résolutions " incomplètes, le petit carnet de préparation à la communion et, dans la foulée,  à la confirmation, a quelque chose de plus : une image plutôt canaille de la gamine, et du coup, non seulement plus juste, si l'on en croit une réprimande épistolaire de sa mère, mais surtout, plus réjouissante que celle, aseptisée, de la petite fille modèle.
 
Il faut dire que ce qu'on lui fait écrire n'a rien de bien passionnant pour une enfant de 11 ans.
 
Passe encore le péché dont Dieu " a horreur ", c'est bien le moins. Admettons toujours que c'est " à cause de nos péchés que Jésus Christ a été cruscifié courronné dép epines flagellé " et qu'il est " mort sur la croix pour nous ". Mais est-il bien raisonnable de demander à des gamines de se " préparer à la mort " puisque " nous ne savons pas l'heure ou Dieu nous reprendra notre âme " ? De leur raconter l'histoire édifiante d'un enfant qui, au moment de l'extrême-onction, " voyait Dieu dans l'hostie ", consolait grand-père-grand-mère et bénissait ses parents ? Du coup, voilà l'Yvonnette qui " veut prendre la résolution de se préparer a la mort en disant tous les soirs Mon Dieu j'accepte de mourrir quand vous voudrez "… Et encore, elle avait écrit dans un premier jet sans doute pressé : " faite moi mourir SI vous voulez ". Si la petite n'avait pas dû saisir la différence, le bon père, lui,  expert en hérésies diverses, avait détecté dans ce raccourci une amorce de mysticisme, peut-être même teinté de quiétisme…  d'où la substitution d'un futur indéfini au présent soumis.