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Un jour,
Alexandre-Marcel-Stanislas, tu auras des enfants : un type comme toi, largué
sans amarres, abandonné en début de siècle par une bretonne déracinée, un type
comme toi a des enfants et il essaie même à sa façon à lui, pas toujours très
habile, de les aimer. Eh ! bien, tu verras : pas un ne songera à te questionner,
pas un ne cherchera à savoir ce que fut ton enfance de gosse de l'Assistance.
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A moins que pas un n'ait
osé évoquer le sujet avec toi, un taiseux, un renfrogné, pas assez de mots pour
dire et sans doute la peau rendue impénétrable par ces premières années sans
intimité Voilà, Marcel -oui, c'est ainsi qu'on t'appellera : Alexandre, pour
un môme sans parents, c'était trop chic ?- voilà pourquoi on en saura si peu de
toi. Les enfants sont des
salauds.
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Années
60, charnière entre deux âges. Il est juste de commencer la visite de la
galerie Marcel par le cliché le plus emblématique de sa deuxième partie de
vie.
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Ventes et partages
successifs de propriétés ont taillé des parcelles imbriquées les unes dans les
autres, avec droits de passage compliqués. Devant la 4 chevaux, la bande
de terrain qui longe le hangar donne accès à l'arrière de la maison Lefresne,
côté jardin. Pas encore de souci esthétique d'environnement. La tôle ondulée est
bien assez bonne pour un bâtiment de ferme.
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Bien calé, tranquille, Marcel est-il en train de pisser un coup
? Il est chez lui. Fini d'habiter chez les autres. A lui, le jardin, la grange
tout entière et les bâtiments qui ouvrent sur la petite cour. Chez lui. Est-ce
possible ? Personne, c'est certain, n'a pu être plus heureux que lui quand il a
acquis la souveraineté sur son royaume biscornu. Le début d'une ère de vrai
confort : un travail fixe, plus d'enfants à élever, des congés payés qu'on peut
réellement prendre, la consommation à portée de maigre bourse. C'est sûr que les
discours des enfants de 68 ont dû lui paraître incongrus…
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Et la voiture ! Vieille, déjà d'un autre âge, c'est vrai. Mais pourtant, elle
roule. Bien briquée, la mécanique entretenue par le fils mécano, la 4 chevaux,
c'était elle le symbole de la victoire sur la misère, le signe tangible
que des temps nouveaux étaient arrivés.
Elle avait succédé à une antiquité
patiemment remise en état : la Traction Avant, la Citron 7 chevaux d'avant
guerre, noire luisante. Marcel l'avait achetée au même propriétaire qui avait
vendu la maison et ce carrosse automobile des années 30 lui avait coûté une
bouchée de pain. Mais elle avait la consommation vorace et son grand âge rendait
l'entretien délicat (va donc trouver des pièces de rechange pour une voiture
d'avant-guerre). Insensible aux charmes du passé, il
l'a revendue, à un " pigeon ", disait-il, persuadé d'avoir réalisé un bon coup.
Il faut imaginer le " pigeon ", ébahi d'avoir acquis pour moins que rien une
pareille merveille…
La 4 pattes, symbole de modernité et de
libération, avait pour lui, comparée à la berline Citroën, la même valeur
que le formica face au rustique: quand le passé est synonyme de privation, vive
le présent.
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40
années entre ces deux Marcel. Beau militaire à gauche, dans la fraîcheur de
ses 21 ans. Homme encore jeune -la petite soixantaine- et déjà vieux, à
droite. Les traits se sont épaissis et creusés, le cheveu devenu moins dru a dit
adieu aux crans.
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Bon, ce
n'est pas du Doineau, ni du Lartigue. C'est une épreuve 6X9 tirée d'un appareil
" Beau Browning ", plus browning que beau. Mais c'est la photo qui nous ramène à
l'enfance.
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A
côté de Marcel et d'Yvonne,
tous deux en tenue populaire (béret, fichu), on voit au centre -mal, mais hein
?- Jean et Carmen. Lui est garde-chasse en Sologne, quelque part du côté de
Nouan-le-Fuzelier : c'est justement chez lui que les Lefresne sont venus. Début
années 50, le voyage Cellettes-Nouan avait l'allure de l'expédition au long
cours. Probable que le camion de la Brasserie Blésoise avait transporté la
famille. La maison du garde, sans électricité (mais avec l'éclairage au gaz)
était perdue dans la forêt, près d'une grande volière dans laquelle des faisans
attendaient les fusils.
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Carmen, c'est l'une des " petites
sœurs " de Marcel, chez la "mère Foulon", leur nourrice.
Au début du siècle, les femmes
Foulon et Bailloux se sont installées dans la nourrissonnerie : se succèdent
chez elles les bébés placés par l'Assistance Publique, ou par des parents trop
occupés. A partir de la loi
de 1904 sur les enfants assistés, l'activité devient un peu plus lucrative.
Du coup, en 1906, à elles deux, elles en hébergent 8 . En
1921, la fille Bailloux, devenue femme Robin, a succédé à sa mère. Et les deux
maisons abritent 10 nourrissons sur les 44 de Cellettes ! Tous ces enfants finissent
par constituer de véritables fratries. Ainsi, Marcel et Carmen, mais aussi Jules et
Edith sont-ils restés en contact toute leur vie. Raymond (ou Alcide ?)
Bigot a même servi de témoin au mariage de Marcel. Et comme la petite Yvonne
Robin-Merveille séjournait de temps en temps chez sa grand-mère, elle a pu lier
connaissance avec eux. En attendant mieux. N'est-ce pas Marcel ?
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