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Avant guerre, sans métier bien défini, il avait travaillé à
la campagne. " Domestique en ferme ", conclut le triste
blaireau qui a rédigé son appréciation
scolaire . " Cultivateur ", disent le Livret militaire de 1931 et l'acte de
mariage de 1933 . " Jardinier ", rectifie avec un peu de prétention l'acte de
donation-partage dressé par le notaire des Montils en 1939. La terre donc, et
dès la sortie de l'école : le dossier de l'Assistance Publique le signale chez
un Adam, à Chitenay, en juin 1923, puis chez un Dulay, à Villebarou un an plus
tard. Les sommes indiquées -700 Francs chez le premier, 1000 Francs chez le
second- correspondent-elles à un reliquat dû ou au salaire annuel, aumône faite
à un gamin sans doute " logé, nourri, blanchi " ? Une part est signalée prélevée
sur cette fortune. " C E " pour la seconde. Caisse d'Epargne ? La détermination
de Marcel à se débarrasser de tout ce qui était vieux, de tout ce qui ne servait
plus, nous prive aujourd'hui de bien des archives, les livrets de Caisse
d'Epargne, par exemple. Impossible donc de vérifier les gains de sa jeunesse. On
l'a vu aussi à Couddes, chez la " vieille saloperie ". C'est d'ailleurs son "
adresse légale " au moment de son service militaire. On comprend en tout cas que
cette existence " chez les autres " lui ait laissé de petits souvenirs, et avant
tout peut-être l'envie de changer de vie. On ne lui a, plus tard, jamais connu
d'indulgence particulière pour les paysans…
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A la fin des années 30,
finie l'agriculture : le registre matricule de l'école de Cellettes le note, à
la ligne de son fils aîné : livreur. Il travaille alors pour un grossiste
blésois de boissons, Ottavaere, qui deviendra la " Brasserie Blésoise ". Comme
tout le monde, il interrompt son activité à l'automne 39 : mobilisé le 27 août,
il reste " sous les drapeaux " jusqu'au 3 décembre. L'hiver, et la " drôle de
guerre ", se passent dans " ses foyers " et vlan, le voilà remobilisé par un
Ordre du 23 mars 1940.
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La guerre n'est plus drôle du
tout : le 27 mars, il est au dépôt du Train d'Orléans, le 4 avril, à la 545ème
Compagnie d'Automobiles Sanitaires. Le Blitzkrieg jette sur les routes un pays
entier, affolé, plus gouverné. Alors là, chapeau ! la 545ème C.A.S. : le
Médecin-Général Maisonnet en personne lui adresse le 26 juin 40 ses "
chaleureux remerciements " et ses " plus vives félicitations "
. Garde à vous ! La 545ème CAS " a réussi (…) à évacuer avant de se replier,
tous les malades et blessés de l'Armée…". Fallait le faire, non ? Surtout
sur un " parcours difficile de 1600 km, sans aucun accident, au contact de
l'ennemi…
"
Voilà de la " mission périlleuse de
dévouement et d'abnégation
".
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comment conjuguer
le verbe "flouer"
Tous ces morceaux de vie sont dans les rares
papiers échappés à son goût de la place nette. Lui n'en parlait pas, ou si peu.
Une fois, il s'était laissé aller à dire deux mots de cette fameuse "
mission périlleuse
"dont l'avait félicité le gégène. Ce n'était
pas le péril qui l'avait frappé, lui, mais l'immense bordel de l'exode, les gens
à qui il proposait de les prendre à bord de son ambulance, vide, et qui
refusaient, affolés. A ce souvenir, il faisait comme les petits héros de Céline,
saisis par l'incongruité des gratte-ciels niouillorkais : il riait. Jamais il
n'avait vu autant de pays ! Les 1600 km du général Maisonnet avaient abouti dans
la région de Perpignan, à Thuir : lui, ce qu'il retenait, c'étaient les caves de
" vin cuit ", cette boisson de luxe des pauvres… Et puis les confidences
s'étaient arrêtées là.
Hélas, ce brillant comportement ne lui vaudra que des récompenses
platoniques. Au moment où il veut transformer, à l'âge de la retraite, cette
période combattante en petit bout de pension, l'Office National des Anciens
Combattants et Victimes de Guerre lui fait savoir sèchement qu'il est loin du
compte, que " 23 jours de présence en unité réputée combattante ", même
avec des " bonifications ", ne valent rien, le " minimum exigé
" étant de 90 jours. Floué jusqu'au bout le Marcel : il naît, mais n'est
pas reconnu, il va à l'école, mais n'est pas intelligent, il part à la guerre,
mais n'est pas combattant. Repos.
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Le voilà revenu à Cellettes, sans doute en juillet
40. Encore quelques mois : le petit gars qu'il a fabriqué au printemps 41
commence à pousser dans le ventre de sa femme. Comme s'ils avaient besoin de ça,
un 4ème enfant ! Il a repris sa place de chauffeur-livreur et Yvonne tremble car
son patron le charge de dissimuler des pneus pour échapper aux réquisitions. Ah
! ce patronat rapace ! Finalement, il n'est pas pris. Il aurait même échappé à
une dénonciation comme " communiste ". Aïe ! Dure époque. Mais à part cela, il
n'appartient pas, semble-t-il, au monde de la Résistance, ni de la première, ni
de la vingt-cinquième heure. Pas le temps : père de 4 enfants au cours des
années noires, ça ne pousse pas à l'héroïsme ; C'EST l'héroïsme des humbles,
pour qui l'épopée du quotidien vaut tous les scénarios de films patriotiques…
Pas collabo non plus. Français moyen, à la peine. Pour dire vrai, on ne sait
rien de cette époque, autant l'avouer
modestement.
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Voilà ce que donne, à la mi-1945, une famille nombreuse à Cellettes:
malgré l'air coincé du petit dernier, des (très) beaux enfants et 4 bouches
à nourrir.
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