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Le
JMO du 79ème RI n'est conservé que depuis le 23 novembre 1915. La cote 26 N 664
contient en outre l'histoire du régiment depuis son origine louis quatorzienne
jusqu'à la fin du XIXème siècle. On y apprend qu'il s'appelait "régiment du
Boulonnais", nom qu'il a abandonné au début des guerres révolutionnaires, au
profit d'un numéro: 4ème Régiment d'Infanterie légère. Il perd 34 officiers et
500 hommes à Waterloo, participe à la conquête de l'Algérie, se retrouve à
Sébastopol au temps de la guerre de Crimée et assiège le Paris communard en 1871
avec 23 tués et 105 blessés. Entre temps, l'infanterie légère a disparu et ses
25 régiments ont été ajoutés aux 75 "de ligne": le voilà donc
79ème.
On trouve aussi, sous la
même cote, un fascicule de 22 pages, imprimé à une date inconnue à Nancy, chez
Royer, évocation lyrique et patriotique, patriotarde dirait-on aujourd'hui, et
œuvre assurément d'un ancien officier du 79ème Régiment
d'Infanterie.
Le texte est
représentatif de l'opinion post-guerre de la droite française bleu-horizon. Le
nationalisme intégral s'alimente d'une certitude : la France est une victime, et
en nourrit une autre : même brisée, elle reste le Phare.
" notre doulce France meurtrie dans
ses villages, jusque dans son sol, la terre française si féconde, ravagée,
dispersée férocement " " souvenez-vous que vous avez le droit d'être fiers
(…) jamais vous n'avez failli à l'honneur grâce à votre belle tenue morale
partout vous vous êtes montrés dignes de la confiance qu'avait en vous le
commandement " " En barrant à l'ennemi les routes de Nancy, de Calais, de
Verdun, de Reims, vous avez brisé son élan. En tenant malgré vos souffrances à
Langemark, en Lorraine, à Samogneux, au Mont-Noir, vous l'avez déconcerté. En le
prenant à la gorge à Neuville Saint Vaast, à la Butte du Mesnil, au Bois Y, au
Chemin des Dames, à Villers le Sec, vous l'avez finalement abattu " " vous
avez abattu l'orgueil de l'Allemagne (…) grâce à vous la France a été la Jeanne
d'Arc des nations… " " vous lutterez pour que la première place dans le monde
soit à la France… " " le peuple américain (…) est parti pour la Croisade
estimant comme son chef que " le Droit est plus précieux que la Paix " " "
grâce à vous la France restera à la tête de la civilisation
"
Au
début de la guerre, le régiment appartient au 20ème corps de Foch, considéré
comme un corps d'élite, et attaque l'extrême gauche allemande à Réchicourt
et à Bezange. Le 19 août, il est devant Morhange. Puis, à partir du 21
août, il se replie sur Nancy, l'offensive de la frontière ayant
échoué.
Début septembre, quand s'engage puis se gagne la
Bataille de la Marne, le 79ème RI se déplace sur l'axe Prescati,
Deuxville, Anthelupt, Flainval, forêt de Saint-Paul. Il est alors cité à l'ordre
de l'Armée. Dans la même région, le 82ème au sein duquel Alfred Merveille a été
mobilisé, subit des pertes " effroyables ", aux dires mêmes du capitaine
Fleuriot qui le consigne dans le Journal de Marche et
d'Opérations.
Fin
septembre 1914, le 79ème, reconstitué après la saignée de la bataille des
frontières, est dirigé sur le front nord, en Picardie. Là, l'auteur s'attarde
sur les actes d'héroïsme d'officiers et la prise de tranchées à la
baïonnette.
Du 11 au 12 novembre, par exemple: nuit noire, pluie, terres
gluantes,
" quel massacre si on attaque ! mais
il le faut ; il faut en imposer à l'ennemi… ". Hélas, " notre attaque ne réussit
pas, mais elle a dérangé les plans de l'ennemi qui s'arrête… " Suit alors la
description de l'unique tranchée envahie par l'eau (" ce fut bientôt une avenue
") : " des alignements de fusils brisés servaient de caillebotis… Pas d'abris…
Nous passions des jours et des nuits accroupis sous la toile de tente retenue
par des cartouches fichées en terre glaise. Il pleuvait sans arrêt… En arrière
de la première ligne un fouillis de trous de tirailleurs, de boyaux commencés,
de fondrières pleines d'eau et de cadavres… ".
Tout nous indique que ce
tableau d'apocalypse ne travestit pas la réalité : le terrible automne 14, au
cours duquel les adversaires s'enterrent, s'est bien déroulé
ainsi,
" … à travers ce désert effroyablement plat où les balles
vous atteignaient à 2 km… ". " …les sentinelles allemandes tiraient une balle à
la minute, il fallait bien leur répondre… "
La " corvée de soupe " est l'objet d'une évocation
sans fard : des fermes brûlées avec les
" cadavres
de porcs ", une " odeur suffocante de chairs roussies en décomposition…
"
. On n'en était qu'aux premiers mois de la guerre, avec près de 500
000 tués, des dizaines de milliers de blessés, comme Alfred Merveille, angoissés
mais résignés.
A partir de janvier 1915, l'auteur décrit une
amélioration des tranchées, que notera aussi Alfred dans ses courriers:
braseros, claies, sacs de terre rendent les longues journées -et surtout nuits-
moins infernales. Malgré tout,
" …beaucoup de
camarades tués, des jeunes de la classe 14, … des pieds gelés… "
: on sait à quel point Alfred a
souffert.
Et c'est le récit,
héroïque, du 9 mai 1915. L'attaque prévue le 8 a été retardée au 9 pour des
raisons météo :
" …le 9 mai, le temps pluvieux
les jours précédents s'est levé… " et " ce retard nous permit de vêtir sur place
nos premières capotes bleu horizon "
L'auteur, qui
connaît les ressorts de l'épopée commence par la présentation d'une nature
française riche et apaisée avant le grand choc :
" …la route de Béthune à Arras, large, plantée de
grands arbres touffus… ", " …les tranchées de boyaux traversaient une végétation
de printemps … les moissonneuses encore dans les champs… " ; " …il restait à "
Madagascar " [un lieu-dit] où l'on
allait par un boyau interminable de riches meules de paille qui nous
permettaient un peu de confort dans les abris… ".
Le décor bucolique étant étalé, l'action se
déchaîne.
" …le commandant de Vissec (…), avec un
bâton, mène l'assaut avec ses grandes jambes de cavalier…très loin en avant le
pantalon rouge du commandant Claudet… ". " La Maison Blanche est enlevée dans un
nouvel assaut "… " …Quel élan ce jour-là et quelle confiance dans la
victoire… vous couriez sur Douai… comme à la manœuvre… ". " …Vous vous
arrêtâtes, essoufflés, devant le Moulin de Thélus. On voyait les ennemis
déséquipés s'enfuir dans les herbes… sur la crête de Vimy… " " …à gauche on
se bat à l'issue nord de Neuville Saint-Vaast ; à droite, dans le Labyrinthe,
personne ; derrière, personne. Quelle rage ! Nous avons fait trop vite,
les renforts ne suivent pas, les Allemands vont pouvoir se reprendre ! " " …au cimetière
de Neuville, le commandant Faure a établi son Poste de Commandement dans le "
caveau de la vieille fille "…
Voilà. A quel
moment Alfred Merveille a-t-il reçu la balle, ou l'éclat d'obus -on ne saura
jamais. La même question est sans doute venue aux 8 à 9000 familles françaises
-et autant d'allemandes- qui ont perdu leur garçon ce jour-là et les suivants.
" Souvenez-vous que vous avez le
droit d'être fiers (…) jamais vous n'avez failli à l'honneur grâce à votre belle
tenue morale partout vous vous êtes montrés dignes de la confiance qu'avait en
vous le commandement ".
Un
commandement -Joffre, en l'occurrence- qui devra bien constater qu'en dépit de
la
" belle tenue morale
" des troupes, cette seconde offensive d'Artois aura échoué, comme
la précédente, comme échoueront les deux suivantes. Il fallait encore 3 ans et
demi et quelques centaines de milliers de morts pour que
" l'orgueil allemand " fût " abattu ".
Mais,
contrairement à l'optimisme de cet auteur patriotique, la France ne serait
plus à la
" première place
dans le monde " et ne resterait
pas " à la tête de la civilisation "…
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