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PAGE INTERDITE AUX TOURISTES
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On peine toujours un peu à imaginer ses parents très
jeunes, amoureux, uniquement préoccupés d'eux-mêmes, pas parents en somme. Alors
cette photo
a, pour les second
Lefresne, un parfum d'interdit, le charme des trous de serrures ou des portes
entrebâillées.
Les autres, étrangers incultes, la
trouveront banale.
S'extasier sur le couple restera donc une
émotion Lefresne.
Halte aux touristes
moqueurs.
Passage interdit aux étrangers
sarcastiques.
Ici, privilège Lefresne, territoire
Lefresne. Minuscule, sans richesses particulières. Mais patrie Lefresne. Si on
entre, on se tait, on regarde et
on ne rit
pas
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Elle, toute de retenue, le cheveu tiré et lisse, si sage dans une jupe
longue et vague, son petit pull clair par dessus lequel est chastement posé le
col du chemisier, ses sandales d'été blanches, jambes serrées, pieds joints.
Lui, bien posé sur ses mocassins à 7 heures 20, un peu balourd avec les mains
aux poches d'un pantalon trop court, comme s'il ne savait que faire de ses bras,
la veste de toile boutonnée jusqu'en haut, la casquette de Gavroche sur une tête
un peu gourde. Elle et son
geste de tendresse, la main posée sur l'épaule de son homme, le bras droit
pudique replié un peu maladroitement sur la poitrine, le sourire timide et
gentiment aguicheur. Lui, le sourire crispé de qui n'a pas l'habitude d'être
photographié, la contenance un peu gauche, mais homme qui tient la bride à ses
élans publics. Pudeur un rien canaille de la jeune femme heureuse, assurance mal
assurée du garçon qu'une vie sans tendresse n'a pas encore dégauchi. Yvonne
racontait, avec un humour attendri, qu'elle avait présenté son Marcel à une
amie. " Enchantée ! ", avait dit celle-ci à l'amoureux. Et elle l'avait entendu
répondre : " Merci, Mademoiselle."…
Voilà le
couple, à la pose un peu affectée qui dissimule toute passion tapageuse, loin du
théâtre des amants de cinéma, le couple amoureux ordinaire. Lui est noté "
cultivateur ". Il vient juste de rentrer du Service Militaire. Elle, est "
dactylographe ". La ville intellectuelle épouse la campagne manuelle. Ils ont en
commun d'être orphelins, lui, depuis toujours, elle, depuis ce sale 9 mai 1915
où son père a été empêché de venir lui fêter ses 4 ans. Et peut-être doivent-ils
à cela de s'être rencontrés, lui, placé par l'Assistance Publique chez la " mère
Foulon ", elle, en vacances chez la " grand-mère Robin ", à Vaugelé, dans
ce creuset de l'amour-lefresne où, ¼ de siècle avant eux, Alfred Merveille et
Renée Robin s'étaient aimés…
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Le 29 juin 1933 tombait un jeudi -étrange jour pour
un mariage,
mais peut-être s'agissait-il seulement du mariage civil ? Le 2 juillet correspond donc au dimanche suivant. Bien
que rien n'indique à qui ce menu était destiné, on peut tranquillement parier:
Marcel, Yvonne et leurs invités ont festoyé à Blois. Pas de
photo mais un menu. "Riché", est-ce le nom du restaurant
?
Rapporté aux normes d'alors,
le menu ne paraît ni gargantuesque ni gastronomique. Pour tout dire, il semble
plutôt banal, avec ses "hors d'oeuvres variés" et ses vins
"rouge et blanc en carafe
". Faut-il y lire le petit
état de fortune des épousés ? Ou la pingrerie des vieux Merveille ? Ces derniers
ont-ils d'ailleurs participé aux agapes ? Et la mère d'Yvonne ?
Sa soeur ? Agaçants ces petits mystères.
Mais ne laissons pas de mesquins
détails troubler de si beaux jours.
Vive les
mariés.
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Allons, tout ne va pas si mal et l'Echo du Centre, que ni
l'un ni l'autre ne lisent sans doute, sait alléger l'atmosphère en nous
rappelant que le Tour de France est parti de Paris l'avant-veille ; c'est même
un Français, le vaillant Archambault qui a gagné la première étape à Lille. On
se presse à la Foire de Paris et dimanche prochain, 2 juillet, c'est la fête à
Blois, au Foix, où la " buvette bretonne " servira à boire.
Boire -entendons : de
l'alcool qui réchauffe les corps et les cœurs- c'est justement ce que les
Virginiens et les Californiens vont pouvoir faire en toute liberté, puisque les
électeurs de ces deux états unis ont voté contre le régime sec et moral de la
prohibition. C'est bien parti pour l'abrogation du 18ème amendement. Et
figurez-vous que Louis Gobelet a gagné une cuisinière à gaz -oui, à gaz- au
concours de pêche…
Si le repas de noces
s'était déroulé le soir de ce beau jeudi 29 juin 1933, on n'aurait pas pu
croiser Yvonne et Marcel au Capitole à Blois : dommage, car on projetait ce
soir-là le film dont Raimu est la vedette : " Le blanc et le noir ".
Ils ne connaissent pas encore le noir, Yvonne et
Marcel. La vie est belle à la mairie et à l'église de Cellettes le 29 Juin 1933.
A peine plus de 20 ans, si jeunes encore, des étés plein la tête quand le monde
entre dans l'hiver.
Ne reste plus
qu'à croître et multiplier.
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